Laissez-moi respirer
Comme tout cycliste régulier qui s’inquiète un peu de l’état de ses poumons, je me suis acheté un de ces masques à particules fines. Et franchement, ça me fait chier de devoir ressembler au mieux à un benêt, au pire à un Hannibal Lecter ou un Bane, en plus de devoir sortir 60€ de ma poche, et les recharges annuelles de filtres qui vont avec. Tout ça parce que j’ai voulu arrêter de prendre ma caisse et faire les 10km quotidiens qui me séparent de mon travail en vélo et bus.
A quoi bon que nos politiques et nos media nous rabâchent sans cesse les oreilles avec l’empreinte écologique, la pollution de l’air et le réchauffement climatique, si ce n’est que pour nous donner mauvaise conscience, mais sans prendre de mesures pertinentes (pas cette circulation alternée quelques jours par an quand la pollution est trop flag!), courageuses et surtout communes. Parce que c’est bien beau que je me fasse mon vélo pour aller travailler (ce qui est au demeurant très plaisant), mais si la majorité d’entre nous continuent à prendre la voiture, à quoi bon ?
Et je dis ça, j’ai bien conscience qu’une grande partie des automobilistes n’a pas le choix : travail trop loin, nécessité de mobilité en journée, gain de temps conséquent dans une journée déjà bien chargée, … Et justement, comment peut-on nous exhorter à vivre mieux, si le mode de vie qu’on nous impose alors nous rendrait infernal le rythme de vie du “vivre mieux”.
Mais malheureusement, ceux qui nous le demandent sont ceux qui en ont le plus rien à foutre, l’écologie fait vendre de toute façon, elle fait élire. Le métier de nos dirigeants n’est pas de rendre notre société durable, nos citoyens plus unis, les richesses mieux réparties. Leur métier est de vendre du rêve (i.e: du mensonge) et de rendre des comptes à ceux qui les font élire. Et ceux qui les font élire, c’est pas nous ! Nous, on ne finance pas leur campagne, on ne les rencontre pas au restaurant. Ces personnes, ce sont ceux dont la survie dépend toujours du modèle économique qui m’empêche de simplement respirer sans porter de masque. Respirer bordel ! On ne peut plus faire un acte aussi simple sans protection, et le monde continue de tourner comme si de rien était. Enfin, nos dirigeants continuent comme si de rien était, parce que nous, on en a marre depuis longtemps. Mais j’imagine que l’avis des gens ne compte que pendant les élections. Après, devoir de silence. Lincoln disait que la démocratie était le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. On en est très loin.
Donc, à tous ces responsables politiques, et leurs thuriféraires, qui n’avouent toujours pas que l’emploi ne crée pas de valeur, seulement du capital (seul le travail pourrait encore créer de la valeur). Que ça fait longtemps que le plein emploi et la croissance ne sont plus des objectifs pertinents et encore moins réalisables. Que les technologies doivent libérer le partage de la culture, pas l’enchainer à des DRM et du chiffrement, et que si les artistes ne peuvent plus en vivre, c’est qu’il est temps d’en changer le modèle de rétribution. A tous ceux qui n’avouent toujours pas que ce qu’on appelle démocratie n’est rien d’autre qu’une aristocratie élective, et qui citent encore Churchill comme contre-argument à la con. A tous ceux qui n’avouent pas le novlang qui nous a été imposé par les media au travers des mots démocratie, croissance, chômage, terrorisme, inflation, PIB, SDF, piratage, dark web, … et qui n’avouent pas que des conflits d’intérêt émergent nécessairement d’avoir nos media, parmi les plus consultés, détenus par de puissants industriels. Ces mêmes media dont de très nombreuses études ont démontré les effets délétères, le rôle dans l’appauvrissement de nos capacités de réflexion, et la fabrication du consentement. La beauté de la concision disait Chomsky… ou comment vous faire oublier ce qu’est la réflexion, ce qu’est l’échange d’idée. De quoi vous faire confondre une critique partielle de notre système avec de la paranoïa ou du conspirationisme, comme si toute idée non-consensuelle était illégitime, et ne méritait même pas l’effort de la défendre avant de la contester.
A tous ceux là, je n’ai qu’une chose à dire : lâchez l’affaire, et laissez moi respirer. Rendez-nous les clefs de notre destin, au lieu d’usurper un pouvoir qu’on ne veut plus vous confier.
Franchement, je ne sais pas si on fera mieux, mais on ne fera pas pire, et au moins, nous, on aura essayé…
- le sentiment sans démonstration d’un ingénieur sans difficulté financière, mais qui continue pourtant de rêver au mieux -
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